La biométrie en procès, acte I d’une mise en cause

Publié le par Blair

[l'humanité]

Justice . Trois étudiants accusés d’avoir détruit deux appareils d’identification électronique dans la cantine d’un lycée de Gif-sur-Yvette (Essonne), comparaissent aujourd’hui à Évry.

C’est une nouvelle forme de militantisme qui va être jugée aujourd’hui. Le parallèle avec les procès contre les anti-OGM n’est pas loin. Le tribunal correctionnel d’Évry (Essonne) va statuer en comparution immédiate sur le sort de trois étudiants. Julien, Anne-Sylvie et Célia ont entre vingt-deux et vingt-six ans et sont tous titulaires d’un diplôme de troisième cycle en philosophie ou en ethnologie. Les arcanes de la pensée de Nietzsche ou de Schopenhauer, les us et coutumes

népalaises alimentent leur quotidien. Ce que la justice leur reproche ? Non pas l’arrachage de pieds de maïs transgénique, mais la destruction de deux bornes biométriques installées dans la cantine d’un lycée à Gif-sur-Yvette (Essonne). Des « faits de violence » au regard de la loi, que les trois têtes pensantes, qui évoquent une « action de sensibilisation », contestent.

Le proviseur s’est porté partie civile

C’était le 17 novembre dernier. Affublés de masques de clown blanc et vêtus de sacs poubelles, une vingtaine de personnes ont investi le lycée de la vallée de Chevreuse, situé dans la technopole de Saclay. Devant une centaine d’élèves, une pièce de théâtre est jouée et des tracts sont lancés pour dénoncer, non seulement la présence des appareils de contrôle biométrique à l’entrée du self, mais plus globalement l’intrusion de plus en plus massive de dispositifs de contrôle dans la vie quotidienne. Le message est clair : « Demandons-nous si un monde sans caméras de surveillance, sans ordinateurs, et sans portables, ne serait pas plus vivable ».

Durant la saynète, les deux bornes biométriques sont détruites avec des masses au cours de cette « opération de sensibilisation ». Pris à partie par des surveillants, et même des élèves, la vingtaine d’activistes sont finalement pourchassés. Trois sont rattrapés et livrés aux gendarmes. Ceux-là mêmes qui occuperont, libres, le box des accusés. Le proviseur de l’établissement, lui, s’est porté partie civile et réclame réparation pour les 20 000 euros de dégâts. Il ne comprend pas. Ces bornes, expliquait-il, sont présentes pour faciliter l’accès à la cantine, évacuant du coup les problèmes de cartes perdues. Rien à voir avec un quelconque filtrage de ses ouailles.

Pour autant, les arguments des détracteurs sont nombreux concernant la dizaine d’établissements scolaires déjà équipés de systèmes biométriques dans le pays.

« Dès l’école maternelle »

Dans le cas du lycée de Gif, la CNIL, chargée de délivrer les autorisations d’installation, n’avait pas encore donné son aval. Et puis, comme le souligne Me Irène Terrel qui représente les trois prévenus, « ces bornes sont mises en place sans concertation des parents ou des élèves ». Pour l’avocate, « c’est le procès de la biométrie, qui fait partie d’un fonctionnement antidémocratique », le débat public n’ayant pas eu lieu. Et de citer les nombreux chercheurs, personnalités reconnues, associations et syndicats (LDH, IRIS, Syndicat de la magistrature, FSU, etc.) qui n’ont cessé de dénoncer les dangers de la biométrie et ses dérives liberticides, en prenant position contre la carte d’identité INES ou les passeports biométriques : des « papiers » électroniques contenant des informations sur l’apparence physique, l’ADN, les antécédents. C’est peu dire que le prétoire, ce jour, servira de tribune politique. « Il s’agit de désobéissance civile, pointe encore Me Terrel. Face à un modèle calqué sur Big Brother. »

Illustration : le livre bleu du Gixel (1) remis au gouvernement pour expliquer comment conditionner les populations à la biométrie. Parmi les préconisations : « introduction dans des biens de consommation, de confort ou de jeux... », « développement des services « cardless » à la banque, au supermarché... », ou encore « éducation dès l’école maternelle ». George Orwell n’aurait pas imaginé mieux.

(1) Groupement des industries de l’interconnexion des composants et des sous-ensembles électroniques.

Sophie Bouniot

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