Arguments contre la biométrie
Arguments contre la biométrie
INES, passeport, et installations communes…
Ceci est un outil de travail, avec des développements limités au minimum, et avec le plus de factualité possible. Tous ces arguments ne seront pas également pertinents aux yeux de tous, mais il s’agit là d’un faisceau qui voudrait montrer tout ce que soulève la biométrie en termes de basculements sociaux et d’atteintes aux libertés les plus élémentaires. Après avoir mis en ordre cette liste non exhaustive d’arguments contre la biométrie, nous restons stupéfaits que celle-ci ne soit pas restée confinée aux cerveaux et laboratoires des chercheurs. Nous pensons que le simple fait que des machines biométriques soient en fonctionnement dans certains secteurs de la société (écoles, aéroports, entreprises, prisons et autres bâtiments publics) sans qu’il n’y ait eu de débat public de fond sur la question, constitue déjà une atteinte grave à la notion de société libre. Nous pensons aussi que le problème de la biométrie est trop souvent abordé sous l'angle de l'atteinte à la vie privée, alors qu'il faut surtout placer cette technologie dans un contexte social et dans des problématiques de pouvoir plus larges. Mais trêve de bavardages, voici les arguments les plus évidents :
1 – L’empiètement sur la vie privée
-Le problème des bases de données
On assiste avec la biométrie à un phénomène coûteux (4000 euros dépensés par un établissement scolaire pour un appareil censé réguler les flux d’une cantine, pour ça il n’y a pas de pénurie budgétaire).
La constitution d’une base de données biométriques est irréversible (cf. [13]), et l’excuse des destructions régulières des données n'est pas valable : ces destructions sont soit onéreuses en temps ou en personnel, soit fallacieuses
Ces bases de données sont dangereuses : elles peuvent être recoupées avec d’autres bases à des fins bassement commerciales, policières ou voyeuristes (cf. [14,27]). De plus, depuis la loi du 06/08/04 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, les pouvoirs de la CNIL ont été grandement diminués et la nouvelle direction se montre laxiste dans ses recommandations (cf. [26, 27]).
-Une surveillance permanente -Le lien avec la criminologie que les avancées technologiques la rendent moins douloureuse qu’elle est vouée à être appliquée à l’ensemble de la société (cf.. [1]). On passe d’un monde où les criminels étaient fichés à une société où ceux qui ne seront pas fichés seront des criminels. (cf.. [1,22] p.3) -Le lien avec les régimes concentrationnaires La biométrie n’est ni plus ni moins qu’une mise en bétail d’un peuple : le corps suffit à justifier de l’identité, comme pour les troupeaux de chèvres et, malheureusement, comme dans les camps de concentration (cf. [1,25]). Cette technique en appelle d’autres similaires, et nous entraîne vers une systématisation du rapport social à la machine (cf. [13]) : la biométrie va déjà avec la vidéosurveillance et les cartes à puce sans contact, qui, elles-mêmes, se greffent à d’autres « nouveautés » comme les micro-puces sous-cutanées et le repérage GPS. En acceptant la biométrie, c’est un système technique en entier que nous approuvons sans vraiment pouvoir nous le représenter. (cf. le cas de Newham, banlieue de Londres [8])
Un identifiant biométrique est unique, universel et d’une grande longévité, à l’instar des tatouages utilisés pour les animaux, et à la différence d’une carte, d’un numéro, d’une adresse, d’une photo, etc. Ces techniques impliquent une suppression du droit à l’oubli (cf. [22] p.8), on reste marqué à vie par les « erreurs » de son passé, tout changement d’orientation sociale est rendu plus difficile.
On n’insistera pas ici sur les défaillances reconnues de la technologie biométrique (cf. [18,24]), et sur les falsifications possibles d’identité (obligation de se faire opérer pour retrouver son identité volée) (cf.. [8,9,17,26]) .
Evidemment la biométrie implique une perte d’intimité, dans nos rapports aux autres, dans nos déplacements, mais aussi dans notre rapport au corps.
L’atteinte à la liberté de circulation est claire: elle repose non seulement sur nos mouvements mais sur la perception que nous en avons. Je n’ai pas à rendre des comptes quant à là où je vais, et les arguments disant que les données ne seront consultées qu’en cas de délit sont fallacieux : si je suis suspecté ou si je suis dans un endroit où d’autres personnes se trouvent, mes données seront consultées. Des bornes de surveillance qui jalonnent de mes déplacements sont incompatibles avec la liberté de circulation. Les citoyens sont suspects a priori puisqu’ils ont à enregistrer leurs moindres agissements (cf. [27]).
Les systèmes biométriques conduisent à une « société des traces » sans anonymat, car il est aisé de savoir où est et que fait chacun grâce à quelques clics. C’est une demande de justification permanente. C’est pesant et illégitime (cf. [23] p.7-9).
2 - La biométrie et ses rapports avec l’histoire
La biométrie n’est qu’un terme high tech pour désigner l’anthropométrie (à savoir la mesure des corps humains à des fins criminologiques et policières) du début du siècle (le bertillonnage). La pratique est strictement équivalente au marquage au fer rouge des criminels au XIXè, aux notables différences près :
On est en plein dans la logique qui a permis la déportation : ce fichage qui permet de repérer celles et ceux qui auraient l’identité du discriminé. C’est la porte ouverte aux discriminations en tout genre [21]. Toute personne sensée retient pourtant de l’histoire l’instabilité des régimes : aux états de droit succèdent les dictatures (cf. [19,25,26,28]), et la moindre des choses est d'exiger des états de droit de ne pas pré-mâcher le travail d'une dictature. La biométrie rend quasiment impossible toute contestation en acte et se trouve à la pointe d'une logique de contrôle globale que rien ne semble aujourd'hui pouvoir freiner (cf. [1]).
La volonté d’infliger un sentiment perpétuel de surveillance est un mécanisme central sous les régimes nazi et soviétique. Point.
3 - Une logique d’imposition : l’impossible « démocratie technicienne »
-La propagande technicienne
Les « Débats citoyens » et conférences viennent toujours après les applications (cf. OGM, nucléaire...). Comment peut-on tester la biométrie sur des mineurs, alors que presque tout le monde ignore ce que c’est et ce que cela implique ? (cf. [26]).
Il n’y a aucune transparence sur les projets de recherche, et les informations sur les projets de loi sont très difficiles à trouver. Alors que ce projet vise à imposer la transparence totale des individus aux yeux des pouvoirs en place (cf. [26,27]).
On assiste à une pression (cf. [20]) des lobbys industriels (cf. [5 p.35]) auprès des pouvoirs publics et auprès des « clients » comme les établissements scolaires qui sont démarchés par des VRP jouant sur l’absence de législation (cf. [10]) et sur des arguments marketing (« ça fait James Bond ») (cf. [5,24]).
On assiste à des tests grandeur nature sur des enfants. Il y a une volonté d’habituer les populations dès le plus jeune âge et de tester ces pratiques sur des groupes qui peuvent difficilement se défendre et se faire entendre : rappelons que les autres cibles sont les prisonniers (cf.. [11, 5 p.34]).
C’est la course aux faux arguments : commodité, rapidité, économie, meilleure gestion des flux. La fausseté de ces arguments publicitaires et technofanatiques a déjà été dénoncée (cf. [16, 31]).
Quand bien même, la simple rationalisation des organisations ne peut pas tout justifier : dans ce cas, pourquoi ne pas demander à tous les travailleurs d’habiter dans leur lieu de travail, aux élèves de rester tout le temps à l’école ? La « praticité » est un faux argument (cf. [2, 16, 27]).
-La propagande de la peur (la systématisation de l’anti-terrorisme)
Avec ces dispositifs, ce ne sont pas les terroristes (soulignons encore une fois que les terroristes choisissent des exécutants sans casier judiciaires et peuvent déjouer n'importe quels systèmes de sécurité) qui sont touchés, mais bien tous les autres qui sont fliqués (cf. [26,27]).
On ne peut pas faire payer à la société tout entière le fantasme anti-terroriste en la soumettant à tout ce que la biométrie implique en termes de privations de libertés et d’intimités (cf. [1,26,27]).
Enfin, et surtout, il nous semble que l'anti-terrorisme, loin d'être une simple pratique ponctuelle, est devenu une forme de gouvernement trop peu interrogée et trop peu combattue.
-On accepte une chose, et tout le reste arrive
4-Machine et logiques de contrôle : le renoncement à un monde qui s’élabore entre humains et par les humains
-Le dispositif de contrôle comme symptôme d’une vision appauvrie de la société, des liens et des individus
Avec la biométrie, on a affaire à des machines qui viennent relayer un idéal de contrôle impossible à réaliser par des hommes sans médiation technologique (cf. [26]). C’est une volonté non pas civique mais bureaucratique qui voudrait que chacun se comporte comme un rouage d’une machine efficace, et puisqu’il est impossible que des humains s’adonnent à un tel idéal mécanique, les pouvoirs en place utilisent les machines pour tenter d'instituer ce système social (cf. [1, 2]).
Il s’agit d’une logique policière de socialisation (cf. [29,31]) : la condition de mon appartenance à la société consiste à répondre à l’exigence des autorités policières de connaître chacun de mes déplacements, mes activités, et de leur avoir remis une partie de mon corps (cf. [15]). Ceci enterre toute conception de la société fondée sur le contrat, le pacte, ou simplement la confiance, mais surtout, le rôle de la reconnaissance inter-personnelle à l’intérieur d’une communauté (cf. [7,32]).
La machine sert de prétexte à une surveillance élargie (n'importe quand par n'importe qui). Le panoptisme est justement ce système où la surveillance permanente en vient à être intégrée inconsciemment, afin d'inhiber le moindre comportement imprévisible et spontané (cf. [33]).
-Une logique binaire de contrôle (oui ou non) qui vient remplacer les échanges sociaux
C’est le signal d’une impossibilité de négocier avec quiconque : il est encore plus pénible de s'arranger avec une machine qu'avec son patron, je ne peux plus utiliser ma parole comme garantie. Dans le cas d’enfants ou d’adolescents, la biométrie implique un apprentissage de l’autorité qui passe de moins en moins par des figures humaines mais par une transaction sans discussion, des décisions non pas réfléchies mais signalétiques (cf. [2]).
On interdit les arrangements avec le collègue, ou l’ami : on en arrive à une absence de jeu social. Si je dois être présent physiquement pour passer les contrôles biométriques, je ne peux pas échanger mes droits : par exemple refiler ma carte de cantine à un copain quand je suis absent, ou moduler mon emploi du temps avec mes collègues de travail. La réduction de l’identité au biologique/physiologique ne permet plus de fluctuations des devoirs, et nous oblige à nous régler sur des exigences qui ne proviennent plus d’un humain ou d’un groupe mais d’un langage binaire (cf. [32]).
Références :
[1] M. Noiriel, Audition par la CNIL, 15/02/2005. cf.www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/CNI-biometrie/CRAUDITIONNOIRIEL.pdf
[2] Xavier Guchet, Manger sous surveillance, 13ème colloque de CREIS, 2004.
cf. http://www.creis.sgdg.org/colloques%20creis/2004/Guchet.htm
[3] CRAIPEAU, Sylvie, DUBEY, Gérard, GUCHET, Xavier, Février 2004, Rapport final, projet incitatif GET 2003 : La biométrie : usages et représentations.
[4] Blue Eye Video ou Thalès conçoivent et vendent déjà des systèmes de détection automatique de comportement suspect, ou de reconnaissance de visages fichés. [5] GIXEL, Livre Bleu (Assises 2004).cf. http://gixel.veloce-it.net/Portal_Upload/Files/ASSISES%202004/Livrebleu.pdf
[7] Alain Weber, responsable de la commission Informatique et Libertés de la Ligue des droits de l’homme, in L’Express du 05/09/2005.
[8] Estelle Dumont, ZDNet le 25/09/2001, la surveillance par biométrie entre fantasme et réalité. A Newham est expérimenté un système de reconnaissance des « comportements suspects » combiné au système de vidéo-surveillance.
[9] Rupert Goodwins, ZDNet du 17/05/2002, De la gélatine alimentaire pour berner les protections biométriques.
[10] Cyrille Louis, Le Figaro 12/06/2003, La France entre dans l’ère biométrique.
[11] Thierry Dupont, Transfert.net 01/07/27003, La biométrie légalisée dans les prisons françaises.
[13] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphe 10.
[14] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphe 12 et 63.
[15] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphe 26. [16] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphe 27 et conclusion paragraphe 3.
[17] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphes 29, 31 et 36.
[18] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphes 30.
[19] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphes 50.
[20] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphes 58.
[21] Conseil de l’Europe, 2005, Rapport d’étape sur l’application des principes de la convention 108 à la collecte et au traitement des données biométriques, paragraphes 74.
[22] Seuls les hors-la-loi auront une vie privée. cf. http://www.vie-privee.org/comm312
[23] Ph. Andrieu et O. Gamet, Biométrie : une sécurité accrue au détriment des libertés individuelles.cf. www.droit-tic.com .
[24] Jean-Marc Manach, Transfert.net, 30/09/2003, Un expert du gouvernement dénonce les faux espoirs de la biométrie, Dans un article d'une revue du CNRS, Philippe Wolf, l'un des responsables de la DCSSI, instance gouvernementale chargée de la sécurité informatique en France, estime que "l'utilisation de la biométrie comme moyen d'authentification est à déconseiller"
cf.. http://www.zdnet.fr/actualites/imprimer/0,50000200,39125546,00.htm
[25] Giorgio Agamben, Non au tatouage biométrique, Le Monde du 13/08/04.
[26] Michel Tubiana, président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), et Alain Weber, commission Libertés et Informatique de la LDH, Audition par la CNIL du 21/03/2005.
[27] Côme Jacquemin, secrétaire général du Syndicat de la Magistrature, Audition par la CNIL du 22/04/2005.
[28] 04/08/05, Appels de parlementaires contre le projet INES.
[29] 20/07/2005, Communiqué commun UGFF-CGT, Fédération des finances CGT, syndicat national CGT INSEE, Le projet INES doit être abandonné.
[30] Marie-Joëlle Gros, Libération du 28/10/2002, Ceux qui montrent patte blanche mangeront.
[31] Alima Boumediene-Thierry et Richard Yung, sénateurs socialistes, www.senateurs-socialistes.fr [32] Meryem Marzouki, fondatrice de l’IRIS et Chargé de Recherche au CNRS, cf. http://www.iris.sgdg.org/ [33] Michel Foucault, Surveiller et Punir et Sécurité, territoire et population.