Les élèves ne sont pas des rats de laboratoire

Publié le par Capucine

Les élèves ne sont pas

des rats de laboratoire


Libération, QUOTIDIEN : lundi 30 janvier 2006


Par Jean Weil.

 

La presse nous a appris qu'un groupe d'étudiants avait envahi le self du lycée de la Vallée de Chevreuse à Gif-sur-Yvette. Après avoir joué une petite saynète montrant les dangers des technologies de contrôle, ils ont détruit des bornes biométriques. Ces appareils fonctionnent en reconnaissant le contour de la main de l'élève et le laissent entrer seulement s'il est inscrit et en règle avec la comptabilité...

Au-delà de la simple évaluation du coût de ces appareils et de leur destruction, il convient d'évaluer le coût social, politique et éthique de ces formes de contrôle. Il ne s'agit rien de moins que de transformer toute la population en rats chroniques : ces rats de laboratoire qui sont «éduqués» à coups de stimuli électriques à faire des parcours sans faute dans un labyrinthe. Sans doute la formule de la borne biométrique à laquelle il faut montrer «patte blanche» est-elle plus sophistiquée, mais elle poursuit le même but : de faire accomplir un parcours sans faute, par un système automatisé et sans présence humaine.

Par conséquent, son installation dans des lycées et collèges où vivent et sont éduqués des enfants est parfaitement inadmissible. Cela fait penser à l'un des échanges entre les deux personnages des Dialogues d'exilés de Bertolt Brecht, qui comparent un certain nombre de méthodes éducatives et en particulier celle d'un maître qui, à chaque rentrée, procédait de la manière suivante : il faisait en sorte qu'il y ait une chaise de moins que d'élèves. Les élèves rentraient en classe et l'un d'entre eux restait debout, n'ayant pas trouvé de chaise. Alors le maître s'approchait de lui et lui administrait une bonne claque ! Les deux personnes qui dialoguaient, convenaient, avec un sourire doux-amer, que ce maître était génial puisqu'il faisait percevoir de façon percutante et immédiate combien la société était injuste, brutale et cruelle.

Si on ne veut pas que notre société ressemble à celle de l'apologue de Brecht, il faut s'opposer à l'instauration de ce type de contrôles dans les établissements scolaires, si l'on est convaincu et certain que l'enseignement est tout à fait autre chose que l'apprentissage de réflexes conditionnés et qu'il repose sur l'explication, l'argumentation, la conviction, la démonstration et la réflexion. Le contrôle par une machine du respect de la loi revient de fait à une déshumanisation des rapports des individus aux règles sociales qui ne peut que générer de la violence. On est là bien loin du système de valeurs qui prévaut en démocratie.

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